Prix « Simone de Beauvoir pour
                  la liberté des femmes » 
                  
                  
                
                 
                Créé à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de
                  Simone de Beauvoir (1908-2008), le Prix «
                    Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes » se propose de
                  récompenser l’œuvre et l’action exceptionnelle de femmes et d’hommes qui, dans
                  l’esprit de Simone de Beauvoir, contribuent à promouvoir la liberté des femmes
                  dans le monde. Financé par les Editions Gallimard, Culture-France, le Centre
                  National du Livre et soutenu par l’Université Paris Diderot,  le Prix « Simone de Beauvoir pour la
                  liberté des femmes » est décerné chaque année à des lauréat(e)s élu(e)s par un jury international. Ce jury se compose d’une trentaine de
                  personnalités du monde entier (France, Angleterre, Allemagne, Suède, Turquie,
                  USA, Afrique du Sud, Israël) et notamment :
                  
                  
                 Présidé par JULIA KRISTEVA et SYLVIE LE BON
                  DE BEAUVOIR, le Jury international du Prix 2011 est composé de : ELISABETH
                  BADINTER, Philosophe, GÉRARD BONAL, Écrivain, CHAHLA CHAFIQ, Écrivain et
                  Sociologue, DENIS CHARBIT, professeur de Civilisation Française à l’Université
                  de Tel Aviv, ANNIE ERNAUX, Écrivain, CLAIRE ETCHERELLI, Écrivain, MADELEINE
                  GOBEIL-NOEL, Ancienne Directeur des Arts à l’Unesco, SIHEM HABCHI, Présidente
                  de « Ni pute ni Soumise », LILANE KANDEL, Sociologue, AYSE KIRAN,
                  Docteur Université de Haceteppe, Ankara, Turquie, CLAUDE LANZMANN, Écrivain,
                  cinéaste et directeur de la revue Les temps Modernes, BJORN LARSSON, Écrivain,
                  professeur à l’Université de Lund, Suède, LILIANE LAZAR, Simone de Beauvoir Society,
                  Etats-Unis, ANNETTE LÉVY-WILLARD, Journaliste à Libération et écrivain,
                  ANNE-MARIE LIZIN, Sénatrice, Présidente du Conseil des femmes de Wallonie,
                  Belgique, MALKA MARCOVICH, Historienne, KATE MILLETT, Écrivain, artiste peintre
                  et sculpteur, Etats-Unis, YVETTE ROUDY, Ministre des Droits de la femme de mai
                  1981 à 1986, DANIÈLE SALLENAVE, Écrivain, JOSYANE SAVIGNEAU, Journaliste au
                  Monde, ALICE SCHWARZER, Écrivain, Allemagne, MARGARET SIMONS, professeur de
                  philosophie, Southern Illinois University, Etats-Unis, ANNIE SUGIER, Présidente
                  de la Ligue Internationale du droit des femmes, LINDA WEIL-CURIEL, Avocate,
                  ANNE ZELENSKY, Ecrivaine, Présidente de la Ligue du droit des femmes, co-fondée
                  avec Simone de Beauvoir.
                  
                
                        
                  
                
                
                  
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                       Ludmila Oulitskaia, lauréate du Prix Simone de Beauvoir 2011, photo G.K.Galabov 
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                Discours de Julia Kristeva
                  
                
                
                   
                
                 Merci d'être avec nous
                  en ces temps de tension, temps confus, où c'est le mot de barbarie qui
                  semble s'imposer. Ici pendant le temps de cette cérémonie, ce sont d'autres mots que vous allez entendre, le mot liberté et le mot femmes,
                  et ceci n'est ni un angélisme, ni du folklore. Nous sommes persuadés que c'est
                  peut-être la meilleure façon de faire que la culture intelligente soit une
                  civilisation, c'est à dire synonyme des droits pour les hommes et pour les femmes. C'est dans cet
                  esprit que nous sommes ici et merci de nous soutenir par votre présence dans ce
                  combat.
                    
                  
                 
                 En remettant ce Prix, j’ai le plaisir et
                  l’honneur tous les ans, dans ce célèbre Café Les Deux  Magots qu’elle fréquentait avec
                  Sartre – un lieu prestigieux dont je remercie l’hospitalité et l’équipe
                  en la personne de M. Jacques Mativa , Mme Catherine Mativa et de Francis Dupin,
                  de rappeler quelques pensées de Beauvoir elle-même concernant la liberté des
                  femmes et qui nous guident dans nos choix : elles soutiennent  encore aujourd’hui l’espoir de nombreuses
                  femmes éprises de liberté, et la résistance au terrorisme économique, politique
                  et religieux sous toutes ses formes et sur tous les continents :
                  
                
                « La fin suprême que
                  l’homme doit viser, c’est la liberté, seule capable de fonder la valeur de toute
                  fin. La liberté ne sera jamais donnée, mais toujours à conquérir. » (Pour une morale de l’ambiguïté).
                  
                
                 « Nous sommes libres de transcender
                  toute transcendance, nous pouvons toujours nous échapper « ailleurs », mais cet
                  ailleurs est encore quelque part, au sein de notre condition humaine ; nous ne
                  lui échappons jamais et nous n’avons aucun moyen de l’envisager du dehors pour
                  la juger. Elle seule rend possible la parole. » (Pyrrhus et Cinéas) ;
                  
                
                « Il n’y avait plus de
                  Dieu pour m’aimer, mais je brûlerais dans des millions de cœurs. En écrivant
                  une œuvre nourrie de mon histoire, je me créerai moi-même à neuf et je
                  justifierais mon existence » (Mémoires
                    d’une jeune fille rangée) .
                  
                
                Et j’ajoute cette année ces
                  mots que vous lirez dans  Tout compte fait (1972) :
                  « ECRIRE EST DEMEURE LA GRANDE AFFAIRE DE MA VIE. »
                  
                
                  C’est à l’écrivain  Simone de Beauvoir que nous avons pensé
                  avant tout en attribuant le Prix Simone de Beauvoir pour cette année 2011.
                  
                
                
                   
                
                          Pendant les trois premières
                  années de son existence, le Prix « Simone de Beauvoir pour la liberté des
                  femmes » a distingué  des
                  femmes ou des associations qui font preuve d'engagements exemplaires dans la
                  lutte pour les droits des femmes.
                  
                
                2008 : Taslima
                  Nasreen  et Ayan Hirsi Ali, menacées
                  de Fatwa par les intégristes islamistes. 2009 : Le Collectif iranien
                  « One million signatures »  pour son  combat en faveur
                  pour l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes en Iran, qu’est
                  venue recevoir ici même la grande poétesse iranienne  Simin Behbahani ; 2910 : deux
                  femmes chinoises qui luttes pour les droits des femmes en Chine, l’avocate  Guo Jianmei et la vidéaste et professeur
                  de littérature Ai Xiaoming.
                  
                
                Pour l'année 2011, le Jury a
                  estimé qu'il était important d'encourager
                    la
                      créativité des femmes, dans laquelle se manifeste et s'affirme leur
                  émancipation, face au poids écrasant des crises économiques et sociales et aux
                  menaces de banalisation des esprits et des cultures.  Le Prix « Simone de Beauvoir pour
                  la liberté des femmes » 2011 salue, dans cet esprit, l'œuvre littéraire de
                  Mme Ludmila Oulitskaia, dont la qualité exceptionnelle, jointe a un sens aigu
                  de la justice et de la démocratie, rappellera a tous cette dimension
                  fondamentale dans laquelle s'est réalisée la liberté de Simone de Beauvoir
                  elle-même. En honorant une écrivaine de langue russe, le Prix s'adresse tout
                  particulièrement aux femmes et aux opinions des puissances dites émergentes
                  (les BRIC dont la Russie fait partie), pour lesquelles la liberté des femmes
                  reste un enjeu capital, à conquérir dans le respect des diversités culturelles
                  et sans céder sur ce changement de civilisation qu'annonce la liberté pour  le «deuxième sexe» selon Simone de
                  Beauvoir.
                  
                
                
                   
                
                
                   
                
                Chère
                  LUDMILA Evguénievna OULITSKAIA
                  ,
                  
                
                 Vous êtes  l'auteur de nombreux
                  romans et nouvelles (vendus à plus de 2 000 000 exemplaire), ainsi
                  que de plusieurs scénarios de films. Mais votre premier livre, Les pauvres parents, est un recueil de
                  nouvelles  qui parait d’abord chez
                  Gallimard avant de paraitre en russe. Alors que les Editions Gallimard fêtent
                  leur 100e anniversaire, c’est un signe de la vitalité de cette
                  maison, mais de aussi de la langue française, d’avoir publié pour la première
                  fois un auteur comme vous, dont le courage existentiel et le talent littéraire
                  ne font que se révéler et s’affirmer avec le temps. Vous avez publié une
                  dizaine ouvrages chez Gallimard : Sonietchka,
                    Médée et ses enfants, De joyeuses funérailles, Un si bel amour et autres
                    nouvelles, Le cas du docteur Kousotski, Sincèrement Chourik, Mensonges de
                    femmes, Daniel Stein, interprète, et le dernier : Les sujets de notre tsar.
                  
                
                 Toujours, les femmes sont des personnages
                  centraux de votre œuvre : qu’il s’agisse de la famille russe, de
                  l’émigration, de l’avortement ou de la mort, de la mythologie ( notamment
                  grecque, avec Ulysse, Pénélope et Médée) ou de l’imagination qui  - de mensonge en innovation - rend les
                  femmes insubmersible dans les heures des traditions, religions, persécutions et
                  autres transformations des sociétés et des mœurs : vos héroïnes traversent
                  les amours et souvent cohabitent avec la mort, toujours habitées   d’une ironie insaisissable qui en
                  fait des vigiles au cœur   de
                  l’invivable. Vous vous définissez comme pratiquant dans vos romans une
                  « anthropologie appliquée », toujours aux « limités d’Eros et de
                  Thanatos » (je vous cite).
                  
                
                     Ecrivaine phare de votre génération, vous vous faites
                  l'écho du renouveau de la littérature russe. Dont vous espérez qu’elle sera
                  mieux lue et connue, lorsque le monde aura été si saturé par une certaine
                  littérature  au seul goût de
                  « coca cola » dites vous, qu’il se  tournera vers le  style plus amer, caustique et drôle des
                  textes russes… de vos textes. Qui traitent de problèmes universels et ne
                  s’interdisent aucun sujet : ni les problèmes interreligieux (Exemple,
                  Daniel Stein, traducteur), ni les passions politiques ( Les sujets de notre tsar). Le public français vous connais peu, le Prix Simone de Beauvoir lui permettra, j’en suis sûre, de vous
                  découvrir et redécouvrir.
                  
                
                   Née pendant la Deuxième guerre
                  mondiale en Azerbaïdjan où vos parents avaient été évacués pendant la guerre,
                  vous avez agrandi à Moscou et fait des études de biologie et de génétique à
                  l'université Lomonossov. Vous  évoquez ce qu’a été l’identité pour une petite fille juive  dans les années cinquante en Russie
                  communistes : Le personnage de votre récit « Le 2 mars de cette année-là » vous ressemble beaucoup.
                  « J’aurais aimé être comme tout le monde, dites-vous en évoquant cette
                  situation. Mais  il y avait quelque
                  chose d’irréductible /dans l’attitude des autres envers
                  vous/.  Ensuite, j’ai cessé de vouloir être comme tout le
                  monde. »  L’antisémitisme vous
                  a donné le désir de ne pas être « comme tout le monde » ! Et
                  c’est possible ! Par la lecture et l’écriture, qui vous créent un monde
                  intérieur et produisent un effet thérapeutique. Partager avec tout le monde
                  comment il serait possible de ne pas être comme tout le monde : n’est-ce
                  pas cela, la liberté  que procure l’écriture !
                  
                
                  La petite fille a grandi. Collaboratrice
                  à vos débuts du Théâtre musical juif, vous avez fait partie désormais mythique
                  spectacle de Lev Dodine. Vous avez participé  activement au mouvement des dissidents
                  et du Samizdat, avec Brodski et Soljenitsine.   Vous   écrivez de nombreuses pièces de
                  théâtre et des scénarios de films. Depuis le début des années 80, vous vous
                  consacrez exclusivement à la littérature, et avait obtenu de nombreux Prix
                  littéraires en Italie, en Russie, en Allemagne et en France.  Vous êtes  mariée au sculpteur Andreï Krassouline,
                  mère de deux fils, vous vous consacrez beaucoup à l’éducation multiculturelle
                  des enfants.
                  
                
                Vous dirigez un projet, sous
                  les auspices de l’Unesco, qui crée des livres pour enfants, pour leur
                  apprendre  la diversité culturelle
                  du monde et la tolérance interculturelle. Vous êtes engagée aussi dans la lutte
                  contre le sida, et votre liberté de pensée vous conduit à dire ce qui est pour
                  beaucoup encore un tabou : il existe deux sexes, femme et hommes, et même
                  trois, avancez-vous, les homosexuels pour les droits desquels vous vous engagez.
                  De même, dans une Russie moderne, complexe et tourmentée, et qui apprend
                  difficilement à sortir du totalitarisme, vous êtes au premier rang de ceux qui
                  parlent le langage des droits de l’homme et de la démocratie,  sans craindre de défier les autorités.
                  
                
                    Féministe, Oulitskaïa ?
                  Certainement pas au sens stéréotypé du terme, et vous nous direz comment,
                  lectrice  et admiratrice de Simone
                  de Beauvoir, vous entendez : 1. Ne pas céder sur les droits des femmes à
                  la liberté et à la créativité, où que ce soit dans le monde 2. Mener cet
                  engagement avec la finesse et l’art qui s’imposent à chaque moment historique
                  et dans chaque culture spécifique.
                  
                
                  Mais puisque c’est l’écrivain sensible à
                  la liberté féminine et à la rencontre des cultures que nous célébrons, je voudrais
                  vous remettre ce Prix Beauvoir 2011 avec des mots- peu connus- que j’ai trouvé
                  chez un écrivain  que vous
                  connaissez, que vous aimez, qui aimait les femmes et que Beauvoir considérait
                  comme un de rares hommes ayant compris les femmes : je veux citer Stendhal :
                  
                
                « L’admission de la
                  femme à l’égalité parfaite serait la marque  la plus sûre de la civilisation. Elle
                  doublerait les forces intellectuelles du genre humain, et ses chances de
                  bonheur. » En russe cela donne ceci :
                  
                
                 
                Потому что вы писатель который чувствительный к женской свободе и к встреч культур, я хотела бы вам вручить эту награду Симон де Бовуар 2011 с мало известными словами, одного писателя, которого вы конечно знаете,  который любил женщин и которого  Бовуар считала как одного из редких мужчин, понявших женщин: я процитирую Стендаль:
                  
                
                
                   
                
                " Достижение женщины к совершенному  равенству било бы настоящим знаком цивилизации. Оно удвоило бы умственные силы человеческого рода, и его шансы счастья. "
                  
                
                
                   
                
                Может бить эти слова Стендаля звучат первый раз на русском языке, по случаю вашей награде Симон де Бовуар, дорогая Людмила Улицкая: вашe творчество способствуeт реализации желания Стендаля.
                  
                
                 
                
                   
                
                  C’est peut-être la première fois que ces
                  mots de Stendhal seront entendus en russe, à l’occasion de votre Prix Simone de
                  Beauvoir, chère Ludmila Oulitskaïa : votre œuvre contribue à cette
                  ambition qui est aussi la nôtre.
                  
                
                
                   
                
                Avec
                  toutes mes félicitations.
                  
                
                
                   
                
                
                   
                
                Сердечно поздравляю вас с наградой Симон де Бовуар 2011.
                  
                
                
                   
                
                 
                 
                
                  http://prixsimonedebeauvoir.blogspot.com/ 
                
                 
                
photo Sophie Zhang