Julia Kristeva | site officiel

 

 

Julia Kristeva et Danièle Brun, Cerisy, 30 juin 2021

 

 

 

 

>> lire aussi : Danièle Brun, Un écho au prélude de Julia Kristeva pour une éthique du féminin

 

Prélude à une éthique du féminin

 

 

«  Cette femme dont on s’écrie  :

-        Elle est en acier  !

Elle est «  en femme  » simplement.  »

 

Colette, La Vagabonde,

in Œuvres complètes, tome I, Gallimard,

coll. «  Bibliothèque de la Pléiade  », 1984, p. 1088.

 

 

1. Quelle éthique  ?

 

Dans la mutation anthropologique accélérée de ce début du IIIe millénaire, les femmes sont à la fois une force émergente, de plain-pied avec ses bouleversements des valeurs et des identités, ET une altérité irréductible , objet de désir, de peur et d'envie  ; d'oppression et d'exploitation ou d'abus et d'exclusion.

La psychanalyse peut-elle se faire entendre (question épistémologique), doit-elle se faire entendre (question éthique) dans cette nouvelle phase du Malaise (Unbehagen, Discontents) de la civilisation  ?

Depuis leur naissance dans l’œuvre de Freud, nos concepts, modèles et pratiques sont plus que jamais dynamiques et diversifiés, à l'affût de la singularité de nos analysants et à la recherche d'une poiésis de l'interprétation.

J'ai bien dit le «  risque  » car, ce constituant aussi radical qu'incernable de nos identités psychosexuelles, le FEMININ, pour ne plus être une «  énigme  », n'en est pas moins un «  trop plein  » d'actings existentiels et sociaux, et il recouvre une stupéfiante polyphonie de déclinaisons. Certains se demandent même si le «  féminin  » ne serait pas une survivance de la métaphysique binaire et phallocentrée, voire le «  symptôme  » de Freud  ? Peut-on encore parler de cette insaisissable «  matière quantique  », particule élémentaire de la théorie, véritable «  boson  » de l'Inconscient  ?

En vous remerciant de l'honneur que vous me faites, je m'y risque en soutenant qu'on ne saurait neutraliser le féminin, non seulement pour faire justice aux femmes, qui viennent chercher une sur-vie sur nos divans.

La disjonction instinctuel-sexuel

Il importe aussi de reprendre le terme « LE FEMININ» qui émaille l'histoire et l'actualité de la psychanalyse pour prolonger cette éthique scientifique que Freud distinguait de la morale à visée normative pour développer sa visée de l'éthique optative, basée sur le choix, la volonté (où pointe sans s'y confondre le désir, et le souci de soi, des autres et des institutions)  ; tandis que la norme sans disparaître, cesse d'être un concept a priori pour devenir aujourd'hui un concept dynamique (selon les préconisations de la biopolitique).

Ici, une explication s'impose.

Nous le savons, l'analyste exerce un métier solitaire - d'une solitude que la globalisation hyperconnectée aggrave – et dans laquelle «  il n’a d’autre compagnon (écrivait W. R. Bion) que le patient, [qui] par définition est un compagnon peu sûr  ». J’y souscris pleinement, et immédiatement la question surgit  : Pourquoi  ? Pourquoi cette solitude acceptée, et de surcroît cumulée avec celle des autres, des enseignements, transmissions, congrès  ?

 La réponse que je vous propose (elle va nous conduire au féminin) est que cet attelage «  peu sûr  » du pacte analytique repose sur une espèce d’éthique, une éthique en suspens, au sens où sont suspendus (où sont mis «  entre parenthèses  ») le jugement et le monde, afin de mieux les mettre en question, en se donnant une direction  : «  Là où c’était, je dois advenir  »  ; avec deux principes qui s’opposent, le principe de plaisir et le principe de réalité.

Pourtant, depuis deux mille cinq cents ans que l’éthique existe, le féminin est rejeté de la sphère de l’éthique  : il n’en est pas un sujet, tout au plus en est-il un objet (et encore  !).

Les rares philosophes modernes qui s’y engagent, et pour éviter le binôme actif/passif, rangent tout juste les femmes dans le pré-éthique  : la femme gardienne de la demeure, experte en hospitalité, en accueil, et plus subtilement «  en assignation d’ambiguïté  », de  «  fermeture des lèvres  », de l’intime en «  possibilité de viol  », en équivoque et en fragilité (cf. Ricoeur, Levinas, Derrida), quand ce n’est pas et très généreusement dans le soin,  «  care  » pour les théoriciens britanniques, inspirés par la «  réparation  » selon Melanie Klein.

La psychanalyse a brisé cette exclusion du féminin de la sphère éthique en inscrivant le sexuel dans l'inconscient  : un sexuel pulsionnel qui, loin d'évacuer l'organique (l'anatomie), est dénaturé parce que disjoint de l'instinctuel organique. Cette disjonction originaire constitue l'être parlant comme sujet clivé, cette refente (fading) se révèle dans l'inconscient auquel l'analyste prête l'oreille, et fait effraction dans la morale normative.

L'introduction scandaleuse d'une sexualité infantile la porte et s'accompagne d'emblée d'une exploration du positionnement spécifique  de la sexualité féminine. De telle sorte que, dès les débuts de la psychanalyse, les deux sexes, hommes et femmes, se perlaborent différemment et singulièrement à partir de ce clivage dénaturant les deux psychosexualités dans leurs épreuves pré-œdipiennes et œdipiennes. Le corps et l'érotisme féminins apparaissent manifester et trahir cette disjonction, et de ce fait deviennent  la  cible du désir et de l'envie. A posséder, à maîtriser, à détruire (aussi!), dans les sociétés dont le développement technique favorise la domination masculine. Le complexe de castration ne trouve son plein sens qu'à condition de l'entendre pour les deux sexes, comme un déplacement traumatique du «  trauma  » de la différence des sexes (cf. Abrégé de psychanalyse, 1938/1949, PUF, p. 244) qui rejoint en profondeur la refente-clivage originaire.

Pour vous épargner des théorisations abstraites, je me permets de vous rappeler deux fables théoriques, qui, s’appuyant sur la paléontologie et l'anthropologie, résument les événements de l'hominisation.

Deux fables

Une étrange  rêverie de Claude Lévi-Strauss (Nous sommes tous cannibales, Seuil, 2003, p. 213) avance que la psycho sexualité, c’est-à-dire la sexualité dénaturée, est à l’origine… féminine. Je cite  : «  seules mammifères à se prêter à l’acte sexuel sans être en rut  », les femmes «  purent signaler leurs humeurs avec des mots  » (  !). Les cordes tendues de la libido femelle ont si bien vibré pour recevoir le pénis du mâle que son organe génital a migré… dans les vocalises du langage  ! Dès lors, ce sera toute la chair du corps féminin qui désintègre et dissémine le fameux «  primat du génital  ».

Plus besoin de moyens physiologiques (organes sexuels ou «  odeurs  » : les premières  femmes bandent de toutes les fibres de leurs paroles  ! C’est le langage – possédant des particularités singularisant es – qui exprime cette «  révolution psychique de la matière  » (cf. S. Freud, «  Deux principes dans le cours du développement psychique  », 1911), laquelle déplace l’instinct animal dans la pulsion désormais et définitivement double, hétérogène (énergie-et-sens).

Une vulve géante surmontée une tête de bison (la porte de l’enfer, diront les théologiens) semble haler  la course des bêtes, représentation zoomorphe des pulsions humaines. Ni corps ni visage, ce féminin dédoublé par la gueule d'un fauve figure et assume l’excitation perpétuelle dans laquelle se reconnaît et se projette le mâle lui-même (37.000 BP). Dans cette «  origyne du monde, l’artiste pariétal, ce bison excité, n’exhibe-t-il pas aussi sa propre castration, affolée et fuyante, qui ne retient de son anéantissement que ?épars graffitis schématiques, et une multiplicité ?empreintes «  positives  » et «  négatives  » de ses mains de créateur.

Ces humains, hommes et femmes, en proie à leurs sexualités psychisées,  se savaient en même temps mortels (les plus anciennes sépultures datent de 350 000 BP) – ET capables de relayer la libido appendue à leur finitude par cette «  révolution psychique de la matière  » qu’est le langage et ses éclosions picturales. L'homme et la femme entrent dans la culture et dans la mort comme des sujets divisés, «  mourront-ils chacun de son côté  ?  » - comme le prophétisait Alfred de Vigny (1797-1822)  ? La question hante la modernité  ; j'y reviendrai. Féminin-entrée-sépulcre, ou Féminin-sortie en graffitis. Ou bien perpétuel recommencement, enviables transformations.

Je m’attarde sur les fables de l'hominisation pour vous rappeler la violence qui balafre la découverte de la différence sexuelle, qui continue à effrayer et à enchanter l’hétérosexualité.

Car la violence de la coupure (en anglais fading) récente du sujet dans la psychosexualité humaine, ne se laisse pas résorber par le fantasme  de la castration et du meurtre du père. Elle ne se réduit pas non plus à un mécanisme psychotique. L’hétérosexualité agit et exhibe la refente de l’être dans l'existence humaine, quelles que soient les prouesses de la reproduction artificielle et la déculpabilisation de l’homosexualité. C’est dans la répugnance et la fascination que le garçon et la fille découvrent qu’ils n’ont pas le même organe. Il nous reste toujours à affiner comment le double Œdipe féminin, modulé par les bouleversements sociopolitiques de la condition féminine, parviennent à transformer cette refente inaugurale et constitutive. Et comment elle échoue en symptômes dans «  l’hétérosexuelle comédie  » (Lacan).

 

Changement de curseur

Quand éclate le «  malaise  » (1930), Freud écrit  – serait-ce pour y répondre – ses deux études qui non seulement remanient sa théorie de la sexualité féminine («  De la sexualité féminine  », 1931, et «  La Féminité  », in Nouvelles suites de leçons ?introduction à la psychanalyse, 1933). Elles assignent une nouvelle tâche à la psychanalyse qui consisterait – sur le plan épistémologique -  à «  trouver la connexion » de la «  doctrine de la bisexualité  » et la «   doctrine des pulsions  » (Malaise…, p. 293), tâche à laquelle ce Congrès appelle  ; et (sur un plan éthique) à témoigner (après lui) contre le «  refusement de la vie sexuelle  » (qui n'est pas la pornographie), en faisant le pari (Freud prévient qu'il «  attend  ») sur «  l'Eros éternel [pour qu'il] fasse un effort pour s'affirmer dans le combat contre son adversaire tout aussi immortel  » (p. 333).

Avec la première topique, l’inconscient est l’infantile – Freud a pu faire siens les mots de Wordsworth  : «  L’enfant est le père de l’homme.  » Avec la deuxième topique, ouvrant la pulsion de mort et creusant la bisexualité avec la sexualité féminine, aurait-il adhéré à Louis Aragon déclamant  : «  L’avenir de l’homme est la femme  »  ? Il avait beaucoup ?humour mais peut-être pas si noir.

L'hypothèse freudienne sur les «  deux phases  » de  l'œdipe féminin et inachevé avec changement ?objet font apparaître ce que j’appelle aujourd’hui un féminin transformatif, qui est aussi un facteur de la transformabilité de la vie psychique considérée non comme un «  appareil  » mais comme une «  vie ?âme  » ou «  vie de l’âme  » selon l’expression de Françoise Coblence (cf. Revue française de psychanalyse, vol. 74, 2010, p. 1285-1286).

Et je reprends la gravité de la question restée sans réponse que Freud lança à Marie Bonaparte  : «  Que veut une  femme  ?  » «  Was will das Weib  ?  » Entendons bien  : l’interrogation ne porte pas sur le désir (Wrensh), elle s’adresse au vouloir (Wellen). Il ne s’agit plus de l’énigmatique «  continent noir  » qui se déroberait à la science. Ce n’est pas non plus une Weltanschauung que le psychanalyste implore. Agacé, curieux, certes, j’imagine Freud suspendu à la question, à l’éthique.

Avec ce «  vouloir  » au féminin, Freud précise le sens de ce changement de curseur qui était en train de s'opérer dans sa clinique de la psychosexualité féminine. L’insaisissable («  que veut…  ?  ») porte sur le rapport du féminin aux idéaux de la vie et à la vie elle-même, inséparable de la culture. Autrement dit, la perplexité sur le féminin est devenu la face psychanalytiquement accessible – mais à la longue  ! – de la perplexité freudienne sur le malaise de la civilisation.  Élucidons avec le féminin ce qui nous échappe dans le social  ? Le féminin se trouverait-il en ce lieu décisif pour le vivant parlant, au croisement du Logos (analytique) et de l’Ananké (inconsciente), les deux divinités auxquelles Freud acquiesçait  ? Croisement ou clivage, béance ou fracture  ? Où est  en train de se jouer l’ouverture ou la clôture de l’humaine condition  ?

Je relis ces derniers textes aujour?hui – par-delà les préjugés de Freud mais jamais ?abaissement des femmes chez lui – comme une défense et illustration de la différence dénaturée des sexes. À laquelle s’ajoutent – tel un pressentiment de certains aspects anti-normatifs  des théories des «  genres  » - une bisexualité psychique polyphonique, ?abord dédoublée des deux côtés de cette différenciation freudienne  : le féminin de l’homme et le féminin de la femme, le masculin de l’homme et le masculin de la femme, la «  partie  » se jouant au moins à quatre. Et qui se conjugue, en définitive, au singulier. Une «  structure ouverte  » de la sexualité des êtres parlants s’esquisse, génératrice de tensions et de conflits, angoisses et jouissances. Insoutenable multivers des inconscients singuliers de cette femme-ci, de cet homme-là, que la psychanalyse ne «  programme pas  », ne «  juge ni ne calcule  », mais accompagne à se transformer. Angoissante, jubilatoire liberté risquée de ce choix, de cette éthique dont les «  normes  », voire les «   identités  » elles-mêmes ( homme – femme) sont devenues des «  concepts dynamiques  ». Pour le meilleur et pour le pire.

Je vais essayer de vous convaincre que le féminin porté par la découverte freudienne de l'inconscient est un, sinon LE facteur de ce dynamitage, en raison de sa propre transformabilité  : le féminin est transformatif.

Le questionnement suspendu sur le vouloir féminin nous invite à approfondir le féminin transformatif comme un développement continu, un devenir. Polémiquant avec Freud, mais déclarant qu’il est «  un des hommes de ce siècle qu’[elle][ admire le plus chaleureusement, S. de Beauvoir reprenait sa pensée sur le féminin en mutation, en termes existentialistes  : «  On ne naît pas femme, on le devient  ». En psychanalyste cependant, et à l’écoute de la subjectivité féminine mobile et multiverselle, je dirais  : «  On naît femme, mais ‘'je’' le deviens.  » «  On  »  : biologique et anatomique, bien que ?emblée frappé par l’imaginaire de la communauté parentale («  Tiens, c’est une fille  !, leur cri nous accueille à la naissance, déçu ou réjoui  »). Mais «  je  » essaie d’advenir comme sujet parlant dans les cultures de papa-maman. L’altérité ne s’éduque pas, elle s’incarne dans le féminin non seulement parce qu’elle est structurelle en raison des deux phases de l’Œdipe, reprises et diversifiées dans les épreuves de la réalité  ; mais aussi parce que des femmes la vivent dans l’existence sociale et politique.

Ne pas «  neutraliser  » dans le «  neutre  », c’est faire justice à celles qui viennent chercher sur-vie et créativité sur nos divans  ; mais aussi à celles qui, par exemple, sont 700 millions,  à travers le monde, mariées de force, et 130 millions de fillettes mutilées par l’excision,  subissant l’emprise de diverses croyances et intégrismes. Aussi ai-je offert le prix Hannah Arendt pour la pensée politique (Brême, Allemagne, 2006), aux femmes afghanes qui s’immolent par le feu – livrées à la pulsion de mort pour seulement l'exhiber et faire condamner – pour que des ONG puissent accompagner les rescapées dans la vie qui leur reste.

Je résumerai ?abord quelques réflexions auxquelles m’a conduite mon expérience clinique avec le féminin, redevables aux nombreux travaux qui m’ont guidée et que je ne saurais citer.

 

 

2. Le féminin transformatif

 

L’Œdipe biface

Le féminin transformatif se construit dans l'Œdipe biface, Œdipe prime et Œdipe bis, et dans la reliance maternelle.

J’appelle Œdipe prime la période archaïque qui va de la naissance à la phase dite phallique (jusqu’à l’âge de trois à six ans). Bien loin de l'idyllique « minoén-mycénien » (Freud) et de la sérénité de « l'être » avant le « faire » (Winnicott), l'identification projective (Melanie Klein) est favorisée par la ressemblance fille-mère et par la projection du narcissisme et de la dépressivité maternels sur la fille.

Une subjectivité interactive se met en place par l’élaboration précoce d’un lien d’identification-introjection/projection avec le pré-objet aimant-et-intrusif qu’est la mère (pour autant qu’elle incorpore le féminin et relaie le désir du père).

 

Pyschisation du lien

Par l’introjection, la cavité excitée du corps intérieur se mue en représentance interne de l'externe. D'emblée, cette psychisation de l'altérité  est mise en difficulté par l’identification avec la mère et par la réactivité de la petite fille comme agent, elle aussi, de la séduction-effraction-frustration. La dépendance archaïque prépare le statut d'objet érotique féminin, auquel la femme demandera qu’il la comprenne comme s’il était… une mère imaginaire : la demande féminine cherchant l’« authenticité » est habitée par le mirage persistant de l’Œdipe prime. Mais la conflictualité primaire y pressent aussitôt l'« illusion » de cet attachement primaire, elle éveille la vigilance qui détecte l’« imposture [1]  » dans les liens.

Au-delà des deux écueils que sont le narcissisme et le masochisme passivant, la ressemblance projective de l’Œdipe prime amorce donc le psychisme de la petite fille comme une mêmeté altérée, comme une altérité intégrée. Le soi hors de soi, le hors-de-soi en soi [2] .

  Cette psycho-sexualité d'interdépendance est codée dans le flux sensoriel, les gestes, les images et les écholalies (investissement des vocalises pré-linguistiques : intensités, fréquences et rythmes), que j'appelle un réceptacle (chora) sémiotique, qui ont déjà du sens sans avoir de la signification, cette dernière s’élaborant avec l’acquisition des règles symboliques (de la phonétique, de la grammaire et de la logique) [3] .

La coprésence des « mêmes » (fille-mère), minutieux ajustement sensoriel de leurs harmonies-dysharmonies, traverse le soin utilitaire et s'épuise dans cet empire féminin des sens sublimés qu'est la beauté [4] . Je soutiens, que tout en faisant son apparition dans le regard maternel pour le nouveau-né quel qu’en soit le sexe, et avant de se mobiliser pour parer à la castration ou au manque, la beauté aimante la mêmeté différenciée fille-mère, excitations et tendresses de tous leurs sens sémiotiques accordés.

C’est une beauté qui cohabite avec l'envie d'expulser l'expulsion. Les premiers gestes pré-symboliques se colorent de rejet : attraction et répulsion, fascination et dégoût, ni « sujet » ni « objet », l'ab-jection est plus violente entre la fille et la mère, qu'entre celle-ci et le garçon idéalisé. S'y ajoutera la haine de l'adolescente pour la femme castrée, objet du pénis paternel. Une haine sans remords d’Oreste. Contrairement au parricide, le matricide par la fille restera un complexe inconscient flouté, un bruit de fond continu qui l'accompagnera dans ses interminables réglements de comptes avec sa mère et ses représentantes. Impensé, impensable, le matricide la dépossède d'elle-même.

Le féminin (THE FEMININE), potentiel otage du maternel pré-objectal, de la Chose [5] ; le féminin (THE FEMININE), première élaboration des phobies de l’infans, sans laquelle l'adolescent phobique et suicidaire,  « ne pouvant plus se supporter » essayera de fuir dans l'anorexie et le hors-sexe voire de changer de sexe; le féminin (THE FEMININE), réservé et refoulé par l’accession ultérieure au phallique.

N’est-ce pas précisément cette position féminine altérée, absolue tout autant que refusée, se dessinant dès l’Œdipe prime, qui sous-tend le fait que le féminin soit le « le plus inaccessible », aux dires de Freud, et ceci pour les deux sexes ? Inaccessible par peur de la passivation, de la régression narcissique et masochique, de la perte des repères visibles de l’identité par un engloutissement sensoriel qui risque de disperser le sujet dans un autisme endogène, voire pathologique.

Continent à peine refoulé, disons : maintenu, le féminin altéré de l’Œdipe prime sera masqué par la féminité réactionnelle et ses parades d’embellissement ou de réparation narcissique, avec lesquelles le phallicisme ultérieur de la femme réagit au complexe de castration. Et c’est au cours de la phase phallique, qui, entre trois et cinq ans, installe le sujet dans la triangulation œdipienne, que le sujet femme effectuera des mutations psychiques, par lesquelles le choix de l’identité sexuelle sera définitivement accompli, ou pas.

 

Etrangère au phallus

Deux moments scandent cette installation dans l'Œdipe bis. Le stade phallique devient l’organisateur central de la coprésence sexualité-pensée chez les deux sexes ; c'est un «  kairos pha?lique », au sens grec d'une « rencontre » mythique ET/OU d'une « coupure » destinale. Une équivalence se produit entre, d'une part, le plaisir de l’organe phallique, visible et valorisé dans la société androcentrée, et, d’autre part, l’accès au langage, à la fonction de la parole et de la pensée.

L'entrée dans l'Œdipe bis (le père remplace alors la mère comme cible du désir) jouxte un moment décisif de la construction de la subjectivité féminine : l’investissement (Besetzung, cathexis) de ce que Freud appelle « le père de la préhistoire individuelle [6]  » qui a les caractéristiques des deux parents. Avant que la différenciation sexuelle « soit sûre », il ne s’agit que d’une « identification directe et immédiate » (Einfühlung) avec le père, non encore « objet », mais déjà instance tierce ET identificatoire qui, « en réunissant les caractéristiques des deux parents », « ramène à l’apparition de l’Idéal du moi ». J’insiste sur la « bisexualité » (père et mère) qui s'immisce dans la tiercéité originaire à l’origine de l’Idéal du Moi. Et je soutiens que la part « mère » de ce « père imaginaire » ne peut que favoriser la transition de l’Œdipe prime féminin en Œdipe bis, et de ce fait soutenir cette bisexualité dont Freud stipule qu’elle « ressort beaucoup plus nettement chez la femme que chez l’homme [7]  ».

Figure tierce, séparatrice et régulatrice de la dyade sensorielle mère-enfant, le père devra se poser pour de bon en père symbolique, instance de l’interdit et de la loi, raison, pouvoir et codes moraux. Le pénis devenant, pour les sexes parlants, le phallus – signifiant de la privation, du manque  et de ce fait du désir : désir de copuler, de signifier, de sublimer, de créer.

Le garçon entre dans l’Œdipe sous le régime du meurtre du père et de la castration, et les « résout » par le Surmoi. La fille entre dans l’Œdipe bis favorisée par le féminin du « père de la préhistoire », qui, au contraire, angoisse le garçon en le renvoyant à la castration et à la passivité. Elle idéalise cette tiercité bivalente paternelle et ses valeurs ; mais, aimantée par la mêmeté-intimité maternelle de l'Œdipe prime, elle adhère à l'ordre phallique comme étrangère au phallus, en percevant sa sensorialité et son excitabilité clitoridienne comme moins visibles et moins remarquables, même et surtout si elle se risque à s'en défendre en s'érigeant dans une posture phallique. Inlassable communicante, inflexible militante, qui crève les écrans de causes forcément paternelles, et dont se  sert aisément le pouvoir médiatico-politique, toujours friand de récupérer les latences spectaculaires de sa parole de combat.

À moins qu’elle n’épure son Œdipe prime en révolte et en insoumission, en « éternelle ironie de la communauté » (selon Hegel), en insatiable curiosité de chercheuse.

 

Un multivers

La fabuleuse adaptabilité sociale féminine recouvre, obstinée cicatrice, cette dissociation constitutive qui s'exprime comme étrangère à l’ordre phallique. D’une part, intense investissement du lien et de l’altérité étayante, mouvement psychosexuel qui se révèle dans le besoin de croire : à l'enveloppe maternelle, au père imaginaire. D'autre part, cette croyance – démentie par le sexisme et aspirée par l’Œdipe prime – mais aussi toute identité s’éprouvent dans le registre de l’illusoire : c’est du jeu, « j’en suis mais je fais semblant ». Illusionné, le féminin est tout autant désillusionné, déçu : d'une déception radicale, plus intraitable que la mélancolie, car elle/ilse confronte non pas au non-sens de l'être, mais à l'absence d'être. Quand il/elle écarte le suicide, le féminin assume cette ab-sence et revit avec elle. Redoutable région où la force (de vivre) côtoie l'indifférence.

Le féminin réprimé, maltraité, retranché dans son étrangeté et son absence, se laisse consoler et instrumentaliser par les religiosités, sectaires ou intégristes ; dévotes et mystiques y abondent ; mais le féminin désillusionné fait aussi les plus aguerries des athées.

L’apparent réalisme féminin se soutient de cet illusoire : les femmes ne cessent pas de faire et de tout faire, parce qu’elles n’y croient pas totalement : elles croient que c’est une illusion… à refaire.

La hainamoration féminine du phallus ne s’éteint pas pour autant. Le féminin sait combattre aussi bien l’emprise maternelle de l’Œdipe prime que le père du Surmoi dans l’Œdipe bis. Mais l’intériorisation féminine de toute cette panoplie psychosexuelle – que je viens d'esquisser schématiquement –,  dans la réserve de l’intimité qui elle-même se fuit, facilite aussi le contact intrapsychique du féminin avec la pulsion de mort. Avant et sans qu’elle s’extériorise en sadisme, le masochisme originaire n’est qu’une version mélancolique de cette destructivité qui sculpte le vivant, et pétrit le vivant féminin pour ainsi dire « naturellement » (pensons à la scène du petit Sigmund, sa mère pétrissant des Knödels). Freud stipulera que le « principe de plaisir [est] tout simplement au service de la pulsion de mort [8]  ». Cependant pour une femme, Sabina Spielrein (1885-1942), qui l'avait théorisée en 1912, avant Freud, c'est l'inverse : « le besoin de destruction est inhérent à l’instinct sexuel » mais « la destructivité [n’] est [que] la condition  de tout devenir ».

De surcroît, avec la hainamoration du phallus, une deuxième posture psychique, amorcée dans l’Œdipe prime, ne s’accomplit que pendant l’Œdipe bis : en tant qu’être parlant, le féminin accède à l’ordre symbolique social en sujet étranger au phallique ; mais en tant que féminin, ce sujet désire obtenir un enfant du père depuis la place de la mère.

Ainsi donc de l'Œdipe prime à l'Œdipe bis, le féminin transformatif est un multivers (j’emprunte ce terme de l’astrophysique contemporaine) que la rencontre amoureuse réveille et reconstruit. A moins que cette structure feuilletée ne se comprime en anorexie ou en frigidité et n’explose en attaques hystériques et conversions – une cascade de sensorialités, traces mnésiques, fantasmes et idéaux co-présents emporte le plaisir d'organes dans la jouissance féminine. « Toute ma peau a une âme », écrivait Colette. J'ajoute : toute ma chair a une âme. Complétude détotalisée et éclipse de soi : vitalité absolue et mortalités croisées des deux partenaires.

 

         Reliance

         L’expérience maternelle est une autre composante du féminin transformatif, que j’appelle une reliance. Un érotisme au sens où la psychanalyse entend l’Éros comme « rassemblant la substance vivante, éclatée en particules, dans des unités toujours plus étendues et naturellement la maintient dans cet état [9]  ».

Originairement expérience biopsychique, la reliance – de la femme et de l'homme – peut être refusée ou transposée dans les métiers de l'éducation et des soins, ou dans divers engagements sociaux. Mais elle s'inverse en mère-version [10] , quand la libido de l'amante détourne sur l'enfant les pulsions insatisfaites.

Avant qu’il ne devienne un « contenant », dont se détachera la création des liens psychiques [11] , l’érotisme maternel est un état : un « état d’urgence de la vie [12]  », une qualité d’énergie toujours déjà psycho-somatique, donnée et reçue pour « être à la mesure nécessaire à la conservation de la vie ».

Mais tandis que la libido de l’amante est dominée par la satisfaction des pulsions, l’érotisme maternel déploie la poussée libidinale en tendresse ; par-delà l’abjection et la séparation, la tendresse est l’affect élémentaire de la reliance.

L’érotisme maternel nous apparaît comme un investissement du « double retournement » pulsionnel à tous les étages de l’appareil psychique, et de ce fait il constitue une condition essentielle pour la mutabilité de l’appareil psychique de la mère et de l'enfant.

Deux facteurs internes à l’intersubjectivité maternelle favorisent ce métabolisme de la passion destructrice en dépassionnement reliant : Œdipe biface de la femme revécu et remanié dans le nouveau couple parental, et le rapport maternel au langage.

Sur ces deux piliers, un véritable cycle sublimatoire [13] se bâtit dans l'apprentissage du langage par l'enfant. A ceux qui prétendent que le féminin manque d'humour, rappelons l'économie de ce cycle sublimatoire qui est littéralement celle que Freud observe dans l'émission et la réception du mot d'esprit : surpris et piégé, l'interlocuteur est invité à recréer l'histoire ; l’enfant, aussi.

RELIANCE, donc. Après avoir mis en valeur, avec Winnicott, la séparation et la transitionnalité, et avec A. Green la folie maternelle, il me paraît important d’insister aujourd’hui sur ce versant maternel qui MAINTIENT l’investissement et le contre-investissement de la liaison et de la déliaison dans les liens psychosomatiques, de sorte qu’ils restent ouverts, à repérer et à recréer. Cet érotisme spécifique qui maintient l’urgence de la vie jusqu’aux limites de la vie, je l’appelle une reliance.

Un temps spiralé et en rebonds s'ensuit : le temps maternel comme commencement et recommencement.

 

Héréthique de l'amour

Les femmes veulent être libres de décider d’être mères, ou non. Certaines d'entre elles font volontiers appel aux maternités assistées, sans préjugés : est-ce parce que le versant présubjectif de l’érotisme féminin les rend familières de cette possession-dépossession de soi que la science moderne impose au plus intime ? En même temps que le féminin transformatif ne s'affranchit pas des dogmes et des normes, mais les module en concepts dynamiques. Et rejoint cette éthique en suspens qui spécifie... la psychanalyse elle-même.

         Il revient à la psychanalyse de continuer à créer de nouveaux concepts de la métapsychologie pour développer – à l’écoute de la sexualité de l’amante – l’élucidation et l’accompagnement de l’érotisme maternel dans sa spécificité. Sans quoi l’émancipation du sujet femme est vouée à n’être qu’un rouage sans éthique dans l'automatisation de l'espèce humaine. Si l’amour est (selon Spinoza) la face intime de l’éthique, le féminin n’est ni une idéologie ni une morale, mais apparaît comme une « héréthique » de l’amour.

         Les seuils de cette transformabilité sont autant d'écueils sur lesquels le devenir féminin bute ou échoue en souffrance ou symptôme pathologique, d'une part, en complicité avec le conformisme ou totalitarisme social, de l'autre. Mais quand il parvient à les déjouer - en s'associant au masculin d'un compagnon, en s'appuyant sur la complicité d'une compagne ou l'étayage d'une communauté, en traversant solitude et conflits, et à l'aide de la psychanalyse, par exemple... –, le féminin rayonne d'une maturité qui semble manquer au « bébé macho » tapi à l'ombre du pouvoir et de la séduction masculine. Avant que le féminin de l’homme ne rétablisse la transformabilité.

 

 

 3. Singularités et métamorphoses de la parentalité

 

Ainsi compris, je vous propose de penser que le féminin « structure ouverte » et détotalisée – participe du dépassement et de la légitimation en cours des identités sexuées ET genrées,  de leur devenir singulier et partageable. Le IIIe millénaire sera celui des chances individuelles  c’est-à-dire singulières. Ou bien il ne sera pas [14] , s’il se laisse engloutir dans des similitudes et likes banalisés par l’automatisation transhumaniste en train d’installer la domination binaire  de « ceux qui l’ont » sur « ceux qui ne l’ont pas ».

Le « trauma » de la différence des sexes, que Freud médite jusque dans son Abrégé  (1939-1940), se fait recouvrir s'il ne « disparaît » pas dans la multiplication des genres qui revendiquent des combats subversifs passionnés. Pourtant, la portée libératrice du genre déstabilise le « sexe psychique » lui-même, et révèle les zones traumatiques de la subjectivité où se fissure ce lien primordial à la vie qu'est la sexuation. Sans succomber au clivage mais en le frôlant, l’angoisse de castration et du vide, ainsi que la parade phallique, peuvent installer des symptômes, qui, loin d’érotiser le féminin (J. Butler), le  « désensemblent » et le poussent au retrait de l'autre et des liens. Quand ils ne le condamnent pas à ce poignant vertige de l’être qui intime de « changer de corps » par manipulation hormonale voire génétique. L’analyste (homme ou femme) est amené(e) alors à recréer – dans son écoute – le féminin (au sens de la transformabilité et de la reliance) pour accompagner les symptômes de ces « êtres autrement » – vers la créativité.

Parmi ces symptômes, j'aurais pu évoquer : l'incurable fatigue, harassante tension, incapacité de se choisir, accablée entre les postures et les objets de désir masculins et féminins ; l'implacable jalousie envers « l'autre femme », signe du refus d'accepter sa féminité sexuée ou genrée qui vire de la haine à la tendresse dans le transfert avec l'analyste femme ;  ou la compulsion effrénée de faire pour ne pas être, de s'annuler à force de faire, et qui se livre dans une narration hallucinée, mettant à mal le féminin de l'analyste homme ; ou encore de la radicalisation intégriste d'une adolescente qui se disait féministe parce que « haïssant les hommes », mais prête « à faire des mômes pour Allah »...

 

 

Ces observations me conduisent à un sujet aussi normatif que brûlant : l'hétérosexualité.  

 

L'hétérosexualité est le problème

L’hétérosexualité (au sens de la psychisation de la génitalité et de la différence  sexuelle,  comprenant la bisexualité psychique, et au sens de leur inscription dans le pacte social) est une acquisition fragile et tardive dans l’histoire des culturels humaines, et elle demeure aujourd’hui encore la problématique par excellence, et ce pour chacun d’entre nous : dans la parentalité, et plus largement dans le lien social lui-même.

Désormais, l'hétérosexualité n'est plus perçue comme le plus sûr et le seul moyen de transmettre la vie et de garantir la mémoire des générations. Pourtant, quelles que soient les variantes de la « norme hétérosexuelle » dans la psychosexualité de chacun, et les acceptations ou les rejets vis-à-vis des couples diversement composés, le mirage de la « scène primitive », comme fantasme originel qui structure les inconscients, relie immanquablement la diversité des érotismes « au zénith de la procréation », comme l’explicite G. Bataille [15] . Et l'hétérosexualité recèle à la fois l'extrême intensité et l'insoutenable fragilité qui habitent la furie de la scène primitive : fusion et confusion de l’homme et de la femme, perte exubérante d’énergies et d’identités, affinité de la vie avec la mort. L'hétérosexualité n’est donc pas seulement une discontinuité (« je suis autre, seul/e face à l’autre »), normalisée par la continuité (fusion pour « donner » la vie).  L’hétérosexualité est une transgression des identités et des codes, qui ne procède pas de l’effroi, mais de l’angoisse et du désir à mort, portés par la promesse de vie à travers la mort. Mais au sommet de la dépense, le plaisir récompense la castration, l’angoisse de mort s’élève en jouissance et l’annule : en prenant forme dans la conception probable d’un être nouveau, étranger et éphémère [16] . Tel est le sens de la scène primitive. Et de tous les érotismes qui s’ombiliquent à elle, jusqu’à la maladie d’amour qui hante nos imaginaires.

Fragilité du couple hétérosexuel : car l’émancipation des femmes  accentuent le féminin singulier des mères et des amantes, et perturbent les hommes qui ressentent avec elles un « danger d’homosexualité » (Colette) –  féminine ou masculine ? À moins que ce ne soit un espoir.

On cherche en vain où sont passées les « valeurs humanistes ». Et si le couple hétérosexuel et sa famille en étaient le point de mire, précisément, en lieu et place de la « valeur » (qui se profile comme souci de pallier la solitude, se prolonger et transmettre). La biotechnologie de la reproduction et le mariage pour tous n'y changent rien : nos fantasmes convergent inconsciemment vers cet héritage archaïque de la parentalité.

Le couple hétérosexuel, marié, continue de fasciner. Non seulement le mariage comme institution le normalise, mais le cinéma, de Hollywood à Bollywood, nous l'impose comme modèle jusqu’à la nausée. Le Couple : énigmatique, scandaleux, détestable et par-là même désirable. L'hétérosexualité est et sera le problème. Dès lors, à partir et avec le féminin transformatif singulier, infinies sont et seront les métamorphoses de la parentalité que la psychanalyse de prépare à accompagner.

 

Les femmes ne sont pas propriétaires du féminin transformatif et toujours en devenir qui participe, avec le masculin, de la psychosexualité des vivants parlant et imaginant. Depuis le dernier Freud et dans les mutations sociohistoriques aujourd'hui, le féminin  nous apparaît au cœur de l’expérience psychanalytique. La psychanalyse serait-elle, de ce féminin, une des possibles (voire l’ultime ?) sublimations ?

 « Renaître n'a jamais été au-dessus de mes forces », écrivait Colette [17] (1873-1954), un de ces génies féminins « transformatifs », dont la lecture nous ressource. Que cette devise vous accompagne.

 

JULIA KRISTEVA

>> lire aussi : Danièle Brun, Un écho au prélude de Julia Kristeva pour une éthique du féminin


[1]     Helen Deutsch (1884-1982) sera la première à diagnostiquer la « personnalité comme si », ouvrant ainsi la clinique des « faux selfs ». Cf.  La Psychanalyse des névroses, Payot, 1970, p..275, 285.

[2]     C'est Melanie Klein, une femme psychanalyste, qui pose, dès les débuts de la vie, un « moi » capable de « relation d'objet », fût-il partiel (le sein). Et c'est une femme philosophe, Hannah Arendt, qui fustige l'isolement mélancolique de ses collègues hommes, en soutenant que le « moi-seul » « n'appartient qu'aux autres ».

[3]     Hanna Segal repère les « équations psychiques » préalables aux « véritables symboles » de la « position dépressive » in « Note on symbol formation », in International Journal of Psycho-Analysis, col. XXXVII, 1957.

[4]               Dont Freud disait que « Malheureusement [...) la psychanalyse a d'ailleurs moins que rien à dire sur la beauté. ». Cf. Malaise..., PUF, p. 270.

[5]     Cf. J. Lacan, Ethique de la psychanalyse, (1959-1960), Seuil, 1986, p. 87-102.

[6]     Cf. S. Freud, « Le Moi et le Ça », 1923, PUF, p. 275, 276.

[7]     Cf. S. Freud, « De la sexualité féminine », 1931, PUF, t. XIX,  p. 12.

[8]     Freud, « Au-delà du principe de plaisir », 1934, p. 337.

[9]     Freud, « Le Moi et le Ça », 1923, p. 283. Et Lou Andreas Salomé : « [...] tâtonner dans l'espace  [...] et dans notre coprs même avec confiance, comme une main se tend vers l'autre [...] avec toute l'intériorité de la créature pour laquelle cette relation ne s'est nullement obscurcie encore » (« Lettre à Rilke, 1er mars 1914 », in Correspondance R.M. Rilke et Lou A. Salomé, Gallimard, 1979, p. 231). Avant d'attribuer au maternel précisément cette capacité de poser et de dépasser le « clivage pathologique » pour « réaliser le tissu » entre réalité intérieure et réalité extérieure, matière et symbole, masculin et féminin, et « restituer la déperdition dont souffre le processus d'individuation ».

[10]   Selon l'expression d'Isle Barande, « De la perversion, notre duplicité d’êtres inachevés », 1987.

[11]   B. Brusset, Psychanalyse du lien, PUF, 2005.

[12]   Cf. ce « Not des Lebens » dont parlent Heidegger et Lacan.

[13]   J.-L. Baldacci, « Dès le début, la sublimation ? », in Bulletin de la SPP, n° 74, 2004, p. 145.

[14]   « Les deux sexes mourront chacun de son côté », Alfred de Vigny, repris par Marcel  Proust.

[15]   L'Erotisme, 1957.

[16]   Cette intimité entre deux incommensurables « rompt la liaison de masse propre à la race et à la communauté », « à la partition en nation et à l’organisation en classe de la société, et accomplit des opérations culturellement importantes », écrit Freud (Psychologie des masses et analyse du Moi, 1921).

[17]   La Naissance du jour, O.C., Pléiade, III, p. 349.

twitter rss