Monsieur le Président du Jury du Prix Saint-Simon,
Cher Marc Lambron, Chère Patricia Boyer de Latour,
Mesdames et Messieurs membres du Jury,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis
surprise, heureuse, émue par l’honneur que vous me faites, en associant mon nom
à celui dont les Mémoires sont
internationalement reconnus comme les plus remarquables jamais écrits dans
aucune langue.
En
Bulgarie, mon pays natal, j’ai appris le français dès l’école maternelle des
Dominicaines, puis à l’Alliance française et ensuite à l’Université de Sofia,
grâce à La Fontaine, Diderot, Hugo et Colette. Le duc de Saint-Simon n’a jamais
été « au programme », mais son nom figurait parmi les « penseurs
anti-obscurantistes de la première moitié du XVIIIe siècle ». Et
c’est Philippe Sollers, auquel vous avez décerné ce même Prix en 2008, qui m’a
fait découvrir l'immensité de cette écriture : ni « histoire »
érudite, ni « littérature », mais une « révélation à la lumière
du Saint-Esprit », « immuable et d’une suite enragée » (Philippe
d'Orléans), qui inspire en profondeur et intimement ce que Sollers appelle sa
« guerre du goût », son écriture. A cet égard, et entre nous,
m'attribuer votre récompense, ne serait-ce une façon de dire à Philippe Sollers
qu'il devrait la recevoir deux fois au moins, pour son art de faire vivre
Saint-Simon au présent ?
J’ai commencé par effleurer les anthologies des
fantômes saint-simoniens. Dans la « guerre civile des langues » que
mène cet homme à l'aube des Lumières, ces fantômes - ces morts vivants - du
Grand Siècle mettaient à mal mes trouvailles sémanalytiques puis
psychanalytiques ; mais ils me reposaient aussi de mes
« outils » théoriques, et m’incitaient à scruter la mémoire du sens dans la chair des mots et des phrases. C’est
en devenant psychanalyste, que j’ai eu l’audace d’écrire ma propre mémoire en roman, dans Les Samouraïs (1990), et que je me suis plongée dans ce vortex où
« la forme emporte le fond », où l’écrivain « se sent »
tout en se voulant « impartial » dans cette « porosité
intérieure du crime », - ce qui « ne fait jamais [de lui]
un sujet académique ». Depuis, je m’y ressource dans mes nuits
d’insomnie : transportée dans l’infini du français qui se réinvente, j’y
ressens un inextinguible désir de France – aussi inépuisable que la
lecture de l’intraitable duc.
C’est
dans les Mémoires et les biographies
du duc et pair de France que j’ai emprunté le nom de Lauzun pour nommer Jacques
Lacan dans Les Samouraïs ; et celui de Réaux – pour
désigner mes beaux-parents bordelais, repliés à l’ile de Ré après la Seconde
Guerre mondiale. C’est le jugement de Saint-Simon sur le quiétisme –
fondé, non sur la théologie, mais sur le style de Fénelon et Mme Guyon, dont il
fustige la « barbarie » et la « langue étrangère » –
qui m’a encouragée à questionner moi-même ces mystiques du « pur
amour » dans mes Histoires d’amour (1983). L’obsession du néant chez le
mémorialiste, scrutant inlassablement « le rien de tout », faisait
écho au Todo nada, « Tout n’est rien » de « ma »
Thérèse d’Avila (2008) : tous les deux enracinés dans la vérité du
catholicisme, le « ducomane » et la mystique jubilent de la
reconstruire par leurs singularités et leur écriture. Enfin, et bien que déjà
retiré de Versailles depuis 1725, Saint-Simon est devenu un personnage dans mon
roman L’Horloge enchantée (2015) :
j’y reprends des fragments de ses Mémoires,
pour décrire ce monde versaillais déjà fissuré par les signes avant-coureurs de
la Révolution mais qui prétend survivre dans le temps infini d’une horloge
astronomique, programmée jusqu’en 9999 par l’ingénieur de Louis XV, Claude
Siméon Passemant… en compagnie d’Emilie du Châtelet et de Voltaire… Ce fut une
époque où la conscience européenne parlait français, déjà déchirée et cependant
unifiée par l'usage de cette langue confondue avec la liberté de penser.
Je veux
croire qu’avec ce Prix vous honorez une Européenne qui constate avec vous une
nouvelle crise de cette conscience européenne, et – en pessimiste
énergique – parie sur son interminable refondation. La lecture de
Saint-Simon que je voudrais vous proposer participe de ce projet.
Opéra funèbre, dialogue avec les morts, litanie
mélancolique et vengeresse adressée à l'au-delà et à personne ? Sans
doute. Pourtant, l’écriture des Mémoires ne se réduit ni à une confession articulée au néant, ni à une révolte
esthétique asociale et posthume contre une monarchie abâtardie et
embourgeoisée. Elle ne se réduit pas non plus à cette « ligne de croix et
de larmes » que l’écrivain traça à la mort de son épouse. J’y ressens surtout
une voluptueuse énergie verbale qui
emporte son auteur et absorbe le lecteur. Pourquoi ? Comment ? J’en relève trois traits essentiels.
L’éthique
D'abord
l'engagement éthique. En effet, le texte des Mémoires procède d’une éthique dont il se veut
consubstantiel : l’éthique du royaume. Dès sa Lettre anonyme au Roi (1712),
Saint-Simon s’assimile à un « Nathan invisible » pour exhorter Louis
XIV à prendre exemple du roi David lui-même, devenu le pécheur par excellence,
et implorer la rédemption pour sauver son royaume. D’emblée, politique et
écriture participent d’une eschatologie. Je reprends aujourd’hui le vieux terme
fatigué de « royaume » : royaume du Saint-Esprit (longuement invoqué
en Introduction des Mémoires), royaume de la monarchie
absolue de droit divin, et des arbres généalogiques de la noblesse. Le duc est
convaincu que sa descente dans les ténèbres des âmes est compatible avec les
vertus bibliques et chrétiennes ; cependant, il ne cesse de se les
approprier en leur insufflant ses propres « vérités », érigées en
passions universelles, fussent-elles diaboliques (ravageant les hommes) ou
démoniaques (menaçant l'Etat). Est-il déjà convaincu, comme Baudelaire, que
« rien n’est plus catholique que le diable » ? Sa bataille
contre la légitimation des bâtards, sa révolte contre les faiblesses du roi
manipulé, « l'esprit au dessous du médiocre » qui le blessent
ontologiquement et personnellement, tout autant que sa fascination pour la
souveraine maîtrise du corps royal et du verbe magistral qui donne de
« l’être à des riens » – ne sont que les signes politiques du véritable état d’oraison qui l’habite : exil de soi dans l’Autre avec
un A majuscule, jouissance volubile qu’on appelle faute de mieux des Mémoires, et que j'appellerais une
oraison effrénée qui mûrit à l’écrit.
Ecoutez
ce glouton optique ; il « pénètre
[les] conversations par les yeux », pour recréer en phrases spiralées « la promptitude [de ses] yeux à voler partout en sondant les
âmes ; « tout cet amas d’objets vifs et de choses si importantes
forme un plaisir à qui sait le prendre qui, tout peu solide qu’il devient, est
un des plus grands dont on puisse jouir dans une Cour ».
Hainamorations
Ses plaisirs fulgurants sont autant de « hainamorations »
tenaces (retenez ce néologisme : sublime entrelacs d'amour et de haine)
que l’écrivain refuse d’appeler « sentiments ». En écartant celles
qui lui sont trop personnelles, il ne les retient que s’il les juge à la hauteur
du royaume et constituent dès lors des vérités universelles.
L'intensité
hainamourée des vérités saint-simoniennes gravite autour de deux pôles majeurs. Louis XIV, bien entendu : il aime s’infiltrer dans le corps du
Roi-Soleil et « Jupiter mourant », jusqu’à disséquer son cadavre
« extraordinaire », pour étaler sous nos yeux « l’estomac et les intestins doubles au moins
des hommes de sa taille […] ce qui était cause qu’il était si grand mangeur et
si égal ». Mais
c’est le duc d’Orléans, le Régent, dit l’«unique », double exalté,
réprouvé parce qu’excitant et inaccessible, fébrile réunion de
vertus et de vices, qui le met définitivement en état de grâce : « La liaison entre lui et moi était de
toute notre vie ». C'est au Régent qu’il s’amalgame dans cette jubilation orgasmique à
l’occasion du Lit de justice des 25-26 août 1718, dans une des pages les plus
célèbres des Mémoires : « Dès que le Régent ouvrit la bouche
sur cette affaire [...] contenu de la sorte, attentif à dévorer l’air de tout
[…] je suais d’angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse
même était d’une volupté que je n’ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce
beau jour. Que les plaisirs des sens sont inférieurs à ceux de l’esprit, et […]
que la proportion des maux est celle-là des biens qui les
finissent. »
Homosexualité
refoulée, inconsciente, sado-masochique ? On l’a dit. Homoérotisme fervent
plutôt, qui forme sourdement ou bruyamment tout adolescent dans sa projection,
idéalisante et vindicative, sur son semblable/son frère. Il survit chez ces
ados ratés que sont les adultes. Il explose chez les génies de l’art, qui
embrassent, fouillent, violent et subliment leurs doubles fascinants et hideux
: pour se retrouver, recommencer et sur-vivre. L'homoérotisme se trahit dans la capture du féminin, chez
Flaubert par exemple : « Madame Bovary c’est moi » ; ou
bien, plus vicieusement encore, dans la gourmandise de la grande Colette qui
s'accouple aux géraniums et aux roses, aux chats, aux chiens et aux serpents.
Quant aux
femmes, Saint-Simon les pénètre non moins ardemment, lorsqu’il les choisit allègrement
dans ce qu’il appelle « le tissu qui appartient en gros à ce
monde ». Unique entre toutes
et tous : la duchesse de Saint-Simon, son épouse, modèle de foi, repère de
stabilité et de droiture. Leur « lien » lui manque si cruellement,
qu’on tressaille à la lecture des vœux testamentaires du mémorialiste lorsqu’il
pérennise son attachement conjugal en ordonnant des « liens de fer »,
« anneaux et crochets », pour enchaîner leurs deux cercueils dans la
tombe et pour la Résurrection.
Rien sur ses amours, mais quelle joie sauvage à sonder
la substance féminine sous l’écorce de la Cour !
Mme de Maintenon restera toujours « la veuve
Scarron », dont la dévotion, qui « semblait absorber tout le reste », ne convainc guère le
disciple de Rancé : manipulatrice éprise de « direction », sa « grâce [est] incomparable à tout et
un air […] de respect [qui]
par sa longue bassesse lui était devenu naturel ». Chef d’œuvre de
détestation, l’auscultation qui se veut « impartiale » se termine en
estocade meurtrière. Au contraire, en empathie avec la débauche de la duchesse
de Berry, Saint-Simon acquiesce pleinement à la folie au féminin : « Haute, emportée, incapable de
retour » car ivre d’orgies et de beuveries, dotée de « l’orgueil le plus démesuré et la
fausseté continuelle », pire, « se piquant d’irreligion » tout en « parlant d’une grâce singulière », la duchesse excelle dans
l’inversion du Bien en Mal qui a toujours passionné le duc, mais avec de tels excès,
qu’ils la transcendent. La duchesse
de Berry n’est même pas libertine : Cette femme « hors de toute
mesure » a saisi littéralement Saint-Simon par la pulsion de mort et
la soif d’absolu qui l'emportent. Et c’est avec la duchesse de Lorges, morte à
29 ans, qu’il laisse échapper un aveu pudique : « la meilleure femme du monde et la plus folle de tout plaisir,
surtout du gros jeu ». Tombe enfin la surprise : Saint-Simon amoureux ? – « J’étais fort bien avec elle. » C’est tout. C’est beaucoup
pour une mémoire sans sentiments.
La
vivisection des passions lui procure cette jouissance
du génie qui ne lâche jamais son idée et sa proie, jusqu’aux dernières
conséquences de sa phrase : n’est-ce pas le côté Dostoïevski de
Saint-Simon, qui plaisait tant à Proust ?
La crainte de
l’effondrement
Ce
faisant, et avec une lucidité clinique, le sondeur du royaume affronte les
ténèbres en lui-même, et c'est le troisième trait que j'aimerais relever de ces Mémoires. Après sa retraite de la Cour à la mort du Régent en 1730, il se décrit comme un
« malade », à « l’esprit languissant de vide ». Ce diagnostic m’évoque la crainte
d’effondrement qui conduirait aujourd’hui un patient en analyse, et fait écho à
l’« association libre » que le Dr Freud propose pour reconstruire le
temps en souffrance. Précurseur inopiné de la psychanalyse, le duc définit son
travail comme « un progrès de ce
qu’on ne peut appeler qu’un écrit » ! Et puisque l’impératif de
la mort et du posthume le taraude, il ajoute immédiatement que cet écrit n’a le
mérite que « d’amuser en le
faisant, fort bon après à en allumer le feu… ». Une écriture-fleuve
s’ensuivra de cette mélancolie vaincue, possession-dépossession de soi,
compression des « genres » (roman ? histoire ? « à la
diable » !) : « pour dire toujours la vérité sans
blesser [sa] conscience ».
Isolement et solitude : pour « avouer ses ténèbres, et ne pas
donner des fictions à la place de ce qu’on ignore ». Et nulle
concession à l’autofiction, ce cache-misère moderne de l'ignorance. Pas de
fiction, pas d'auto-fiction ? Mais qu'est-ce donc ?
Le royaume du langage
Nous
sommes sous l'emprise d’une nouvelle écriture, tumultueuse voire confuse pour
son auteur lui-même, tant le chasseur de vérité s’y perd. Il nous lègue sous le
nom de Mémoires une expérience intérieure pour laquelle il
n’y a pas d’autre au-delà que la réécriture perpétuelle des passions
singulières. Quand il se revoit, à la chute des bâtards au Lit de justice, son « cœur dilaté à excès ne trouve plus
d’espace à s’étendre », et sa « violence infinie et néanmoins ce tourment délicieux […] triomphent dans la vengeance »
– ne nous pressons pas de le renvoyer à ses sentiments. Car le
mémorialiste prévient : « J’étais tenté de ne plus me soucier de
rien. » En effet,
« Je », son moi, se « mourait », mais capté, en définitive, par un autre « espace pour s’étendre » : le royaume suprême du langage. Et quelle inflexibilité de la raison,
quelle sérénité jubilatoire à se fondre avec l’Être universel, à s’intégrer
dans l’ordre symbolique qui régit le monde des hommes et de Dieu.
Ainsi, en projetant l’effervescence de ses passions
dans la langue française qu’il module à la rapidité de son rythme, Saint Simon
s’approprie la « vérité » du royaume eschatologique et politique,
qu’il ne songe guère à révolutionner, seulement à déchiffrer, pour en recréer
les variations : dans le seul royaume qui vaille, celui des vérités
polyphoniques, le royaume de la mémoire devenue langage. Ou comment « se
mourir de joie ».
Saint-Simon
est ailleurs. Ni Bossuet qui « adresse la Cour à la mort » ; ni
Montesquieu qui remplace l’absolutisme par l’Etat de droit ; ni Voltaire
invitant les Candides à cultiver leur jardin : exit sa propre « réforme institutionnelle » … Exit la
polysynodie, censée remplacer les vieux ministres par une aristocratie de
Conseils, consultants, experts, « startuper » déjà en marche...
L’inflexion de l’infini qui absorbe Saint-Simon dans la matière de la langue
m’évoque plutôt cette réalité mathématique qu’Emilie du Châtelet appela en 1744
« le feu », et qui préfigure, selon les astrophysiciens modernes, la
« matière noire ». Les Mémoires de Saint-Simon : la matière noire du royaume, côté passions ? Au même
moment, en 1740, Bach compose ses Variations Goldberg. Les Mémoires de Saint-Simon : les
variations de Bach, côté phrases ? Infinies reprises sérielles et re-créations
du royaume, à en mourir de joie. Aux antipodes du défaitisme linguistique avec
lesquels le marketing attise aujourd’hui le nihilisme internaute.
On
prétend qu'advint la Révolution quand les Français se mirent à penser comme
Voltaire. Nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, les besoins absolus de croire
et les désirs de mort explosifs se pressent, inexorables ; ni les réseaux
sociaux, ni les jeux vidéo, ni les rituels de décapitation djihadistes ne
parviennent à les satisfaire. La Révolution n’habite que des rêves insoumis, ou
encore les vœux d’un Président qui, en même temps, se souvient du royaume. Le
délitement de l’idéal européen, l’impuissance du politique et les failles de
l’humanisme nous intiment de remonter aux sources de la vitalité
européenne : les Français ne parlent pas comme Voltaire, mais pussent-ils
retrouver la ténébreuse et vivifiante rapidité de ces Mémoires d’« aucun temps ».
Il nous faudra rouvrir, avec Saint-Simon, le royaume
du langage, ses variations entre éthique,
hainamoration et sublimité. Cet état de mémoire en fusion par l’écriture,
qui nous réunit aujourd’hui, s’est produit une fois au monde, dans la première
moitié du XVIIIe siècle, ici même, et nulle part ailleurs. Sa magnificence, sa
véhémence sont inimitables ; on en trouve quelques éclats chez Sade,
Dostoïevski, Proust, Céline... « Le français est langue
royale », écrivait ce dernier, errant jusqu'à l'abjection dans son
« opéra du déluge ».
Je me voyage
Votre
Prix me donne l’occasion de me remémorer le chemin qui m’a fait renaître
européenne dans cette langue française et me mène jusqu'à vous.
Je n’ai jamais eu la tentation des Mémoires, puisque
c’est dans mes essais et romans que je tente de recomposer mes angoisses et mes
refondations. Le projet de ce voyage « sous forme d’entretiens » en
revient à mon éditeur Fayard, et notamment au feu directeur Claude Durand, que
je remercie pour son indéfectible soutien de mon travail qui se poursuit
aujourd'hui encore sous la direction de Sophie de Closets. J'ai assumé ce
projet. Je l’ai assumé à condition de m’y risquer en compagnie de Samuel Dock,
jeune clinicien et écrivain. Défricheur vigilant, Samuel, en affinité avec mes
écrits et avec une sympathie exigeante, m’a aidée à dissiper la solitude
inhérente à cet « intervalle entre la vie et la mort » qu’est toute
expérience mémorielle, fût-elle la plus modeste, dans une nouvelle traversée de
mes frontières. Aux antipodes de l'assurance
irréfragable de Saint-Simon, le format de l’entretien m’a permis d’effleurer
cette alchimie étrange où la personne interrogée, interpellée, devient…
personne, à force d’ouvrir sa mémoire aux courants qui l’ont fait être : ce
fut une autre façon, contenue, de se consumer, sans la hantise de destinataires
incertains ou voraces. Ni feuille de route ni reportage de vérités
inavouables : je ne partage pas le messianisme inhérent à ces états et
discours. Je me voyage restitue ma manière de vivre
les pensées, par un amour constant du « point d’interrogation »,
- mise en question de soi, des êtres et des choses, pour ainsi dire à la
verticale du temps accéléré.
J’aimerais
que ces entretiens soient reçus comme une désappropriation
de moi, à la recherche de la mémoire européenne dans celle de la
globalisation - pour les transvaluer.
Et je fais le vœu qu’à l’occasion du Prix Saint-Simon
2017, le royaume selon Saint-Simon
– avec son impudence à sonder la cruauté des hommes (femmes comprises),
et avec les « tours de diable » qu’il joue aux rituels du pouvoir
politique – puisse réveiller – au-delà de l’Europe du climat, du
lait, du cochon, de la défense, du souverainisme et des flux migratoires
– enfin et pour de bon, l’Europe de la culture.
JULIA KRISTEVA